Bail commercial : la Cour de cassation confirme le déplafonnement intégral du loyer en cas de tacite prolongation au-delà de 12 ans, sans lissage possible

Publié le 30 octobre 2025
Introduction
Le renouvellement du bail commercial constitue l’une des principales sources de contentieux entre bailleurs et locataires, en particulier lorsque se pose la question de la fixation du nouveau loyer.
Pour éviter des hausses trop brutales, le régime du plafonnement prévu par le Code de commerce encadre traditionnellement la réévaluation du loyer, en la limitant à la variation de l’indice de référence. Ce mécanisme vise à protéger le locataire et à garantir une certaine stabilité économique dans l’exploitation de son fonds de commerce.
Toutefois, cette protection connaît des exceptions…
Le déplafonnement du loyer et la loi Pinel
Le déplafonnement du loyer peut être appliqué lorsque certains évènements modifient sensiblement la valeur locative, tels qu’un changement de destination des lieux, de caractéristiques, d’environnement commercial ou encore lorsque la durée du bail dépasse douze ans. Dans ces hypothèses, le loyer du bail renouvelé peut être réévalué à la valeur locative, ce qui peut entrainer une hausse significative.
Afin d’atténuer ces effets, la loi Pinel du 18 juin 2014 a introduit le mécanisme du lissage : lorsque le déplafonnement est justifié, l’augmentation du loyer ne peut excéder 10% par an du loyer acquitté l’année précédente. Ce dispositif vise à instaurer un équilibre entre le droit du bailleur à percevoir un loyer conforme au marché et à la protection du locataire contre des augmentations trop abruptes.
Un arrêt majeur de la Cour de cassation (16 octobre 2025)
C’est dans ce contexte que s’inscrit un arrêt majeur rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 16 octobre 2025 (Cass. Civ. 3ème, 16 octobre 2025, n°23-23.834).
Dans cette affaire, le bailleur, propriétaire des locaux commerciaux, les a donnés à bail au locataire à compter du 1er octobre 2001. Il lui a délivré un congé avec offre de renouvellement par acte du 17 juin 2014.
Le bail s’étant poursuivi tacitement pendant plus de douze ans avant la délivrance dudit congé, le bailleur a sollicité le déplafonnement du loyer renouvelé, sur ce fondement, estimant que la durée effective du bail justifiait une revalorisation à la valeur locative.
Le locataire s’y est opposé, soutenant que l’augmentation du loyer ne pouvait excéder 10 % du montant payé l’année précédente, selon le dernier alinéa de l’article L. 145-34 du Code de commerce.
La question s’est posée de savoir si le mécanisme du lissage du loyer renouvelé était applicable lorsque le déplafonnement résultait d’un bail initial de neuf ans prolongé tacitement au-delà de douze ans.
Rappel des conditions d’application du lissage
(Article L. 145-34 du Code de commerce)
En confirmant la décision de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, la Cour de cassation est venue rappeler avec précision les conditions d’application du mécanisme de lissage, instauré par la loi Pinel, et codifié au dernier alinéa de l’article L. 145-34 du Code de commerce.
Ce dispositif, destiné à atténuer les effets d’une hausse de loyer issue d’un déplafonnement, prévoit que la variation du loyer renouvelé ne peut excéder 10% par an du loyer applicable l’année précédente. Cependant, cette règle n’est pas d’application générale : elle ne concerne que deux hypothèses expressément visées par la loi, à savoir :
- Lorsqu’une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L.145-33 du Code de commerce concernant la valeur locative, justifie le déplafonnement du loyer ;
- Lorsque la durée du bail est contractuellement supérieure à neuf ans, ces baux étant déplafonnés de plein droit conformément au même article.
L’exclusion du lissage en cas de tacite prolongation
En réaffirmant ces principes, la Cour de cassation a apporté une précision majeure quant au champ d’application du mécanisme de lissage : ce dispositif ne s’applique pas aux baux commerciaux d’une durée contractuelle de neuf ans qui, par l’effet de la tacite prolongation, se sont poursuivis au-delà de douze ans.
Autrement dit, lorsqu’un bail initialement conclu pour neuf ans est simplement prolongé tacitement sans renouvellement formalisé, et que sa durée effective dépasse douze ans, le déplafonnement du loyer est intégral et immédiat. Le locataire ne peut donc pas bénéficier du lissage annuel de 10%.
Cette solution, constante en jurisprudence, et qui vient d’être confirmée par la Cour de cassation, s’inscrit dans une interprétation stricte des textes : la tacite prolongation ne saurait être assimilée à une durée contractuelle supérieure à neuf ans.
En conséquence, le locataire supporte la hausse complète du loyer, réévalué à la valeur locative du marché, qui peut être considérable et brutale, au risque de fragiliser la situation économique du preneur et la pérennité de son activité commerciale.
Conséquence : vigilance et anticipation
Cette décision invite à une vigilance accrue de la part des exploitants de locaux commerciaux. Elle rappelle l’importance de surveiller la durée effective du bail et d’anticiper toute prolongation tacite susceptible d’emporter des conséquences financières significatives.
Pour éviter un déplafonnement non maîtrisé, il est recommandé de formaliser le renouvellement du bail avant l’expiration du terme de neuf ans et d’analyser périodiquement la durée réelle du bail afin que celle-ci ne dépasse pas la limite des douze ans.
Du côté des bailleurs, la décision de la Cour de cassation peut inciter une stratégie d’attente : en laissant le bail se prolonger tacitement au-delà de douze ans, ils peuvent bénéficier d’un déplafonnement intégral et donc d’une augmentation immédiate et significative du loyer, fixée à la valeur locative du marché, en évitant l’application du lissage.
La décision de la Cour de cassation met en lumière la nécessité d’un juste équilibre entre la protection du preneur et les droits du bailleur à percevoir un loyer conforme à la valeur réelle du marché.
Demander conseil à votre expert-comptable
En conclusion, la décision de la Cour de cassation met en lumière la nécessité d’un juste équilibre entre la protection du preneur et les droits du bailleur à percevoir un loyer conforme à la valeur réelle du marché.
Une anticipation rigoureuse, avec l’appui de son expert-comptable, reste la meilleure garantie pour sécuriser la gestion des baux commerciaux.
Rédigé par Laura Testarrouge, Juriste du GROUPE IXEHO
Référence : Cass. 3è civ, 16 octobre 2025
